"C'était l'année 2017, le 12 janvier. Mes pleurs accompagnèrent immédiatement les cris de ma mère, qui tentait tant bien que mal de me faire sortir de mon repère. Ses cris me faisaient mal aux tympans, mais bien sûr, elle s'en tapait, elle, bien trop occupée à hurler et à engueuler mon père. Pauvre Papa. Même aujourd'hui, je le plains, mais épouser l'ancienne Générale des forces armées du Japon n'était pas une très bonne idée en soi, alors, lui faire un enfant, c'était du pur suicide. Bah, que voulez-vous? Elle était charmante, ma maman. Très vite, elle se tut, épuisée par sa tirade verbale qui tenait plus du monologue que de la dispute, et se laissa choir sur son lit, alors qu'on me sortait de la chambre pour me nettoyer et m'envelopper dans des draps. Et j'ai un truc à dire; j'ai la dalle, et pas qu'un peu. J'ai terriblement faim, parce que ma très chère mère ne se nourrissait qu'à peine, et juste assez pour me tenir en vie dans son ventre, parce que madame ne devait pas perdre la forme. C'est ainsi que je naquis, moi, Ryuu Tsubasa, né Kasaki Hiromu, fils d'un couple de riches japonais immigrés au Royaume-Uni depuis les années 70. Des nobles, si on peut dire.

Très tôt, j'ai été cloitré dans une école privée, avec des gamins de mon âge. Mais je ne leur ressemblais pas. Non, j'étais bizarre. J'étais beaucoup plus fort qu'eux, beaucoup plus malin, peut-être même plus mature (et non, j'avoue que la modestie ne m'étouffe pas). Les plus vieux ne m'intimidaient pas, et il m'est déjà arrivé de mordre un de ces sales gamins si forts que l'amputation de la main fut la seule option pour lui épargner l'expansion de l'infection. Aujourd'hui, il y a un mec qui regrette salement sa jeunesse et qui est privé de la découverte charnelle (je m'autorise ici un petit euphémisme pour ne pas choquer les puristes). Enfin, je m'égare du sujet. À l'époque, je n'avais qu'une seule amie. Elle n'était pas foncièrement jolie, mais elle était vivace et intelligente, ainsi que douée de tact, ce que je n'ai jamais réussi à développer malgré tous ses efforts pour m'y encourager. Son nom était Annabelle. Et je me souviendrai toujours d'elle car, merci à elle, je suis aujourd'hui celui que je suis. Mes parents désapprouvaient cette amitié, mais je ne les ai jamais écouté, car je n'écoutais qu'un seul souverain; ma petite tête en noix de coco. C'est également grâce à elle que j'ai développé mes talents, car elle avait un chic affreux pour se mettre dans le pétrin avec des gens beaucoup plus forts et nombreux qu'elle.

Le jour où j'ai appris que j'étais réellement différent remonte à quelques années. Je venais d'avoir mes 14 ans et j'échappais enfin à la surveillance de mes parents pendant un mois; l'école que je fréquentais avait organisé une sortie pour aller fréquenter un site de camping sauvage réputé pour sa faune abondante et sa flore majestueuse. À peine l'avis était lancé que j'avais copié l'écriture de ma mère pour signer un papier, que je fouillais mes économies et que je préparais mon paquetage pour partir vers la liberté... ou ce qui y ressemblait. En fait, une fois là-bas, il y a avait un avis qui disait très clairement "attention aux coyotes". Et quand ils disaient "attention", il fallait vraiment faire attention, parce que ces sales bêtes puantes et mal léchées avaient la triste réputation, dans ce coin de pays, d'être de vraies teignes. Les règles du camping exigeaient que les feux entourant la zone de camping restent toujours allumés... et bien sûr, qu'est-ce que font les idiots quand ils voient une règle? Ils la transgressent. Et cette nuit là, en plus, je partageais ma tente avec ma meilleure amie, et ma seule alliée. Bon, normalement, vous vous en doutez, on ne devrait pas le faire, mais on avait une excuse valable; elle avait oublié sa tente. Sur cela, les professeurs ont simplement baissé les bras.

Très tard dans la nuit, Annabelle quitte la tente pour aller se soulager. Elle me demande de l'accompagner, car elle avait peur du noir (apparemment, c'était à cause des films d'horreur qu'elle regardait étant plus jeune.) et comme je suis nyctalope, elle voulait que je veille sur elle. Seulement, alors qu'on s'enfoncait dans les bois, des gamins se mirent à hurler et à courir dans la direction opposée, et avec raison; derrière eux se trouvait un ours et des coyotes, visiblement très affamé. Annabelle courut immédiatement et se réfugia dans un arbre en criant d'horreur alors que je restais là pour faire face aux bêtes. Un coyote m'a sauté dessus et m'a mordu au bras, et je lui ai percé les yeux avec mon canif (ne jamais sortir sans être préparé). Ignorant la douleur, je me suis rué vers les autres en criant dans l'espoir de les effrayer, et là, ce fut le tour du nounours de me sauter dessus. Ce n'était pas un adulte, sinon, je n'aurais pas survécu. Il n'est rien de plus effrayant que se faire écraser par un ours, hormis le sentiment de colère qui m'avait envahi à me faire dominer ainsi par une racaille. Avec un hurlement sauvage, j'ai asséné un coup de... griffe... à l'énorme créature, qui recula en se tenant la truffe. Je me suis redressé sur mes pattes, comme si j'avais toujours eu cette apparence. J'ai dévisagé mon adversaire et j'ai poussé un grognement agressif avant de lui sauter dessus et de planter mes crocs dans le cou de la bête, lui arrachant des rugissements de souffrance. J'aurais pu lui briser la nuque, mais elle cessa très vite de lutter et elle s'allongea sur le sol, démontrant sa soumission. Je me suis alors redressé, sous ma forme humaine, et j'ai regardé les coyotes... qui prirent la fuite. N'étais-je pas leur dirigeant? Un dominant? eh bien, ils avaient agi avec sagesse, et je me suis retourné vers Annabelle, qui continuait de serrer l'arbre entre ses bras en pleurant, terrifiée, les yeux clos. Je me suis approché d'elle et, un par un, j'ai retiré ses doigts de l'écorce de l'arbre. Elle se jeta alors sur moi et remplaca la sécurité que lui conférait l'arbre pour venir la chercher chez moi. J'ai tenté de lui expliquer qu'elle me faisait mal, mais elle ne voulait rien entendre. elle voulait juste rentrer chez elle, point final. Je l'ai ramenée à la tente et je me suis installé avec elle sous les draps. Étant trop jeunes pour savoir ce qui s'est passé cette nuit-là, je vais simplement vous dire qu'on a fait l'amour.

Oui, je sais ce que vous pensez; "Ouah, le héros qui sauve la princesse en détresse, le sexe, les p'tits oiseaux, c'est trop bien", oui, mais non. Les choses sont bien moins simples que ce qu'on voudrait croire. Cependant, vous avez oublié qu'aujourd'hui, je fréquente l'académie, et comment m'a-t-on trouvé, d'après vous? Les Sondeuses? Non. Je suis un meurtrier. Indirectement, je suis celui qui a enlevé la vie à la fille que j'aimais. Et c'est parce que j'étais un de ces mutants que cette chose s'est produite. À 17 ans, j'avais quelques problèmes avec des hommes du crime organisé après que mon père ait emprunté une grosse somme pour rembourser ses dettes. Heh. Ma mère n'était pas des plus heureuses, après cela, et elle l'a quitté... sans m'emmener avec elle, bien entendu. C'est alors que pour me forcer à bosser pour ses créanciers, mon père a enlevé Annabelle et m'a menacé de la tuer. Bien sûr, je ne suis pas du genre à me plier aux volontés de quiconque, et je suis allé retrouvé mon père avec la ferme intention de lui faire la peau pour avoir osé poser celle que j'aimais, alors que le loup en moi hurlait la vengeance. Je me suis précipité à la résidence, et dès que je suis entré, un son de détonation me dénonça ce que mon père venait de faire. Au sol, il y avait ma compagne, une tache de sang bien rouge au-dessus de son ventre légèrement gonflé par le petit qui grandissait en elle, et debout, un pistolet à la main, mon père. J'ai tremblé. pour la première fois de ma vie, je ressentais réellement la haine. Je me suis rué sur mon père et je l'ai attaqué, poussant un terrible cri de guerre alors que je déchainais mon pouvoir en type zone. Les mécanismes du pistolet ne répondaient plus alors que mon père pointait son canon sur moi. Rien ne lui permettait de me faire du mal. Je lui ai agrippé la gorge du bras droit et je l'ai soulevé de terre (à noter que mon père était court sur patte et très maigre). Je lui ai brisé la nuque de ce simple geste. Quoi? Vous vous attendiez à un combat de titan avec des "pourquoi" à profusion? Ne rêvez pas.

Bien vite, les "recruteurs" sont venu me chercher. Ma copine était dans mes bras et je la serrais contre moi comme un gamin serre son doudou quand il a peur. Eh bien, moi, j'avais peur de la perdre, même si je savais que c'était le cas. Ils ont eu tout le mal du monde à m'arracher à elle, avant d'appeler la police et de m'emmener avec eux. Ils m'ont expliqué ce que j'étais, ils m'ont expliqué où ils m'emmenaient, ils m'ont aussi dit que maintenant, soit j'allais finir mes jours en prison pour un double meurtre (qui pourrait prouver que je n'avais pas tué ma copine moi-même?) soit j'allais dans une académie spéciale sous un nouveau nom avec de nouveaux papiers et une nouvelle identité pour me protéger des forces de l'ordre. Pour eux, Kasaki était mort, et j'étais maintenant Ryuu Tsubasa, en référence au nom de famille d'Annabelle, qui était Angels. Annabelle Angels. J'étais mort, et pourtant, j'étais encore vivant.

Or, je suis nouveau dans l'académie.
Ca vous va?"

Sur ces paroles, Ryuu se lève de sa chaise et tourne le dos aux élèves de sa classe avant de s'éloigner vers la porte de sortie, le professeur tout simplement incapable de le retenir... enfin, pas qu'il ne voulait pas, mais il tenait à se sortir indemne de cette année scolaire.